La moitié des logements indignes seraient habités par leur propriétaire

L’habitat indigne touche un grand nombre de propriétaires en milieux urbain et rural, d’après le 29e rapport sur l’État du mal logement en France de la Fondation Abbé Pierre. Et pas uniquement des locataires victimes de marchands de sommeil.

Quand on dit habitat indigne (soit toute situation d’habitat portant atteinte à la dignité humaine, d’après le Code pénal), on pense tout de suite à la figure médiatisée du «marchand de sommeil», un propriétaire qui profite de ses locataires et loue très cher un logement normalement impropre à l’habitation. Mais, comme le relève la Fondation Abbé Pierre dans son 29e rapport sur l’État du mal logement en France, qui sera présenté le 1er février, à l’occasion du 70e anniversaire de l’appel de l’Abbé Pierre, l’habitat indigne ne se limite pas à cette figure. La moitié des logements potentiellement indignes concernerait des propriétaires occupants. «On va au-delà du spectaculaire, au-delà de la dénonciation simple des marchands de sommeil. Ce n’est pas un processus manichéen, il est plus lent à résoudre», affirme Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation. On peut donc déceler des formes d’habitat indigne cachées derrière de belles façades par exemple ou isolées en zone rurale.

La Fondation Abbé Pierre prend l’exemple de personnes âgées dont le logement s’est dégradé et d’agriculteurs contraints de rester dans des habitations vétustes comme Pierre et Emmanuel, deux frères agriculteurs dans le Tarn-et-Garonne. Une partie de leur toiture est tombée dans leur salon. Les deux hommes avaient mis des palettes en équilibre pour tenir le plancher et le plafond d’une des chambres tenait par des étais. Âgés de 50 ans, les deux hommes ont grandi dans la ferme de leurs parents qu’ils ont reprise par la suite. Ils travaillent en extérieur toute la journée et ont peu de temps à consacrer à leur maison. Ces Français font partie de cet habitat indigne invisible.

Des naufragés de l’acquisition

De même, la Fondation a recueilli le témoignage d’un jeune couple de primo-accédants de 24 et 32 ans qui ont acheté une ancienne étable en Bretagne pour 36.000 euros. Lorsqu’ils y emménagent en 2016, le vent passe à travers les menuiseries des portes et fenêtres, le toit n’est pas isolé et la chaleur produite par le poêle à bois de la pièce à vivre s’échappe rapidement. «On est venus ici aussi parce que les maisons étaient plus abordables, notre budget est très limité. On a la possibilité de faire un potager sur le terrain, c’est aussi notre objectif, viser l’autonomie pour avoir le moins de dépenses possibles…», confie le jeune couple qui a sous-estimé l’ampleur des travaux à réaliser. La Fondation parle de «naufragés de l’acquisition», qui n’ont pas eu le choix que de se reporter sur des logements à bas prix face au coût de l’immobilier. Le couple a dû dormir sous une tente pendant un an, au début des travaux. «Les primo-accédants accèdent à ce qu’ils peuvent», explique Manuel Domergue.

L’habitat indigne touche aussi parfois les logements sociaux, même s’ils sont plus épargnés que le parc privé. «La qualité moyenne du logement social est supérieure mais les bailleurs sociaux ne sont pas à l’abri», souligne Manuel Domergue. La moitié des signalements reçus à Lyon concernent toutefois des logements sociaux. En tout, l’État met en avant une estimation de 420.000 logements indignes présents sur le territoire alors que pour la Fondation, la France compterait plutôt 600.000 logements indignes, même si elle a conscience de la fragilité des estimations à ce sujet.

Pas seulement des logements anciens

Pourquoi une telle différence d’appréciation? «L’indicateur utilisé est celui du parc privé potentiellement indigne. Il faudrait ajouter l’Outre mer, a minima 110.000 logements indignes sur un parc total de près de 900.000 logements (soit 12 %), les logements sociaux indignes et aussi les locaux impropres à l’habitation, pas seulement les vrais logements et les 100.000 personnes vivant en habitation de fortune d’après le recensement de la population», précise Manuel Domergue. Le traitement de l’habitat indigne ne se résume donc pas à un stock de logements anciens à rénover mais aussi des habitations de fortune, comme des bungalows, des mobile-homes. «Il s’agit en réalité d’un phénomène qui se transforme perpétuellement, faisant basculer de nouveaux segments du parc immobilier dans l’indignitéC’est l’éternel tonneau des Danaïdes, un robinet qui reste toujours ouvert», déplore-t-il.

La Fondation considère la lutte contre l’habitat indigne comme le parent pauvre de l’action publique. L’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah) a attribué ces dernières années entre 13.000 et 15.000 subventions par an au titre de la lutte contre l’habitat indigne, 13.752 arrêtés d’insalubrité sont en vigueur en 2021, 578 travaux d’office ont été réalisés par le préfet ou par la commune en 2022 et 2216 arrêtés de mise en sécurité ont été recensés en 2021. «C’est dire qu’au rythme actuel, il faudrait une quarantaine d’années pour éradiquer le simple stock de logements indignes», dénonce-t-elle.

«Gouverner c’est d’abord loger son peuple et le Président de la République n’a pas parlé de pauvreté», rappelle Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Le seul point positif pour la Fondation, c’est le projet de loi sur l’habitat indigne en cours d’examen. L’Assemblée nationale vient d’adopter un projet de loi qui prévoit notamment de plus lourdes sanctions contre les marchands de sommeil. Le Sénat va à son tour l’examiner. Le Gouvernement semble s’intéresser à la question de l’habitat indigne. Le premier ministre, Gabriel Attal, a déclaré ce mercredi devant le Sénat: «Un logement digne, c’est le fondement d’une vie digne. Nous y travaillerons».

Source : lefigaro.fr – Image : freepik.com