Contraintes par les régulateurs de mieux filtrer les candidats au crédit immobilier, les banques activent davantage les leviers dont elles disposent pour abaisser l'endettement des ménages. En étalant leur prêt, ou en dopant leurs revenus.

Une production de prêt immobilier atteignant presque 21 milliards d'euros en décembre, un encours en hausse de 6,3% sur un an... Comme le montrent les statistiques de la Banque de France, les banques n'ont pas vraiment fermé le robinet du crédit. Des chiffres a priori étonnants puisque depuis plus d'un an, les établissements financiers ont dû s'adapter aux recommandations du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), organe de régulation présidé par le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Ces mêmes recommandations sont d'ailleurs devenues des normes contraignantes depuis le 1er janvier, exposant les banques à des sanctions en cas de non-respect des critères établis.

Ainsi, depuis le début de l'année, le taux d'effort des ménages - la part de revenus nets avant impôt consacrés au remboursement d'un crédit - ne peut excéder 35%. La durée du prêt est, elle, plafonnée à 25 ans (27 ans pour les achats sur plan). Outre les dérogations offertes par Bercy - pour 20% des crédits -, les banques ont en parallèle ressorti de vieux outils pour faire passer des dossiers devenus non éligibles. En étalant davantage leur prêt, ou encore en dopant leurs revenus.

Le prêt lissé pour regrouper ses mensualités

Le système n'est pas nouveau, mais le lissage de prêt connaît une seconde jeunesse depuis quelques mois. "La chose était exceptionnelle en 2020 puisque les banques pouvaient se permettre d'accepter des dossiers à 39% d'endettement. Depuis plus d'un an, elles se sont ouvertes à ce genre de montage", explique Pierre Chapon, fondateur du courtier Pretto, qui a contribué à produire plus d'un milliard d'euros de crédit en 2021. Le lissage de prêt consiste à regrouper l'ensemble des mensualités d'un ménage pour éviter le surendettement. En diminuant le montant des mensualités du nouveau crédit sur une période donnée, l'emprunteur peut honorer ses anciens emprunts - par exemple crédit à la consommation - avant de se consacrer entièrement au remboursement de celui nouvellement souscrit. Avec l'assurance de ne jamais dépasser les 35% d'endettement. Le raisonnement est aussi valable pour les prêts à taux zéro.

Prenons l'exemple fourni par le courtier Empruntis. Un couple achète un bien à l'aide d'un prêt classique (190.000 euros sur 25 ans à 1,4%) et d'un prêt à taux zéro (60.000 euros sur 22 ans, avec un différé de 10 ans) pour un montant total de 250.000 euros. Sans lissage de prêt, le couple doit donc rembourser dans un premier temps 751 euros, puis 10 ans après, il doit ajouter les 417 euros du prêt à taux zéro pour atteindre 1.168 euros au total, avant de retomber à nouveau 751 euros pour les 3 dernières années. "Avec un prêt lissé, le couple remboursera 941 euros sur toute la durée du crédit. La part de remboursement du crédit immobilier diminuera lorsque le prêt aidé vient se greffer à l'opération" explique le courtier. Et le banquier prendra ainsi en compte une mensualité de 941 euros, et non pas 1.168 euros.

Le prêt progressif pour les emprunteurs prometteurs

Attentives aux profils de chaque emprunteur, les banques peuvent proposer des prêts à taux fixes dits progressifs. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une modulation programmée des mensualités de prêt. Chaque année, le montant du remboursement augmente de 1 ou 2% pour atteindre finalement un maximum à la fin du prêt. Seulement, c'est la mensualité de départ qui est prise en compte pour le calcul de l'endettement.

Un montage parfait pour les jeunes emprunteurs voulant adapter le remboursement de leur crédit à la progression de revenus qui rythmera leur carrière. "Limité jusque-là à des profils très précis comme les fonctionnaires, dont l'échéancier d'augmentation de salaire est connu d'avance, les banques ont élargi la pratique à beaucoup de profils dont la perspective de carrière est prometteuse", confirme Pierre Chapon. Ce système peut aussi convenir aux investisseurs locatifs qui pourront bénéficier chaque année d'une augmentation de revenus grâce à la revalorisation de l'indice de référence des loyers.

Exemple : pour un emprunt de 200.000 euros sur 20 ans au taux de 1%, avec une augmentation annuelle des mensualités de 1%, la première échéance s'élève à 838 euros, alors que l'ultime prélèvement atteint 1.012 euros. Le tout pour une mensualité moyenne de 920 euros.

Les revenus locatifs sont désormais dopés

Ils sont, avec les primo-accédants sans apport, les principales victimes des nouvelles normes du HCSF. Représentant seulement un cinquième des 20% de dérogation accordées (soit seulement 4% du total des exceptions), les investisseurs locatifs ont vu leur part dans le total de crédits accordés chuter. Il faut dire que les banques finançaient jusque-là fréquemment ce genre de projets à 38%, 39%, voire 40% d'endettement. Pour passer sous le plafond des 35%, les investisseurs ont donc dû revoir à la baisse leurs ambitions.

Autre difficulté, la plupart des banques ne prennent en compte que 70% des revenus locatifs pour la constitution du dossier de crédit. La raison : ces rentrées d'argent sont considérées comme instables à cause des risques de vacance locative, de loyers impayés ou des frais d'entretien de l'appartement. Une décote de 30% est ainsi appliquée.

Bonne nouvelle cependant : pour continuer à financer le projet des investisseurs, de plus en plus de banques prennent en compte non plus 70%, mais bien 90%, voire 100% des revenus locatifs. Des caisses régionales de banques mutualistes comme la Caisse d'épargne, Banque populaire ou le Crédit agricole ont sauté le pas, assurent les connaisseurs du marché. Même des banques nationales comme la BNP s'y sont mises. Et le résultat est palpable : "Cette hausse du plafond peut abaisser le taux d'endettement de 4 ou 5 points", analyse Sandrine Allonier, porte-parole du courtier VousFinancer.

Les revenus variables sont mieux comptabilisés

Pour fixer le taux d'endettement, les banques se fient avant tout aux revenus nets fixes avant impôt. Elles peuvent cependant intégrer les revenus variables des salariés, notamment les commerciaux. Sauf que pour les prendre en compte, il fallait que ces revenus soient réguliers depuis 3 ans, rappelle Maël Bernier, directrice de la communication du courtier Meilleurtaux. Là aussi, des établissements commencent à abolir cette règle pour les prendre en compte plus rapidement, parfois même dès la première année.

(Source : capital.fr - Image : fr.freepik.com/photos/affaires photo créé par freepik)